L’ampleur et la gravité de la crise vous ont-elles surpris
?
Sa gravité réelle, non, pas vraiment. Un infectiologue m’avait dit, il y a une vingtaine d’années, que la guerre
multimillénaire entre les microbes et l’humanité, ce seraient les microbes qui allaient la gagner : ils ont pour eux le nombre, le temps, l’adaptabilité, des mutations innombrables et très
rapides… Je ne sais s’il avait raison, mais cela me donna à réfléchir et me prépara peut-être à ce que nous vivons aujourd’hui. J’ai toujours pensé que l’humanité disparaîtrait un jour, que ce
soit par un virus, une bactérie, un astéroïde, une guerre nucléaire ou le réchauffement climatique. À côté de toutes ces catastrophes possibles, l’épidémie de Covid-19 reste un problème
surmontable ! On parle de plusieurs millions de morts en Europe, ce qui serait évidemment catastrophique. C’est ce que le confinement vise à empêcher – et empêchera en effet, si nous le
respectons strictement. Mais enfin l’humanité a vu bien pire ! Rappelons que la peste noire, au XIVe siècle, a tué près de la moitié de la population européenne de l’époque, soit environ 25
millions de personnes. Et que la malnutrition, de nos jours, tue 9 millions de personnes par an, dont 3 millions d’enfants. Pourquoi parle-t-on tellement des 10.000 morts en Italie,
des 3.000 morts en France, des 500 morts en Belgique, et si peu de ces 9 millions ? En partie parce que le Covid-19 est une maladie nouvelle, et qu’on s’effraie davantage de ce qu’on ne
connaît pas. En partie aussi, même si c’est moralement sans pertinence, parce que la malnutrition tue surtout dans d’autres pays que les nôtres… Je sais bien que cette pandémie, parce qu’elle est
mondiale et resserrée dans le temps, a quelque chose de plus spectaculaire. Mais enfin il meurt 600.000 personnes par an en France, dont 150.000 par cancer. En quoi les décès
résultant du Covid-19 sont-ils plus importants que les 600.000 autres ?
Vous voulez dire que le Covid-19 n’est pas si grave
?
Une maladie qui peut tuer des millions de gens, c’est évidemment très grave. Mais faut-il pour autant ne plus
parler que de ça ? Voyez nos journaux télévisés. La guerre en Syrie ? Plus de nouvelles ! Les migrants ? Disparus des écrans ! Le réchauffement climatique ? Oublié ! Oui, le coronavirus, c’est
très grave. Mais le réchauffement climatique l’est à mon avis beaucoup plus. Attention de ne pas tomber dans la démesure ! Un journaliste m’a demandé hier si le Covid-19, c’était la fin du monde…
Vous vous rendez compte ? Un taux de létalité de 1 ou 2 % – sans doute moins, si on tient compte des cas non détectés –, et les gens vous parlent de fin du monde ! Ce qui m’étonne, pour résumer,
ce n’est pas la gravité intrinsèque du Covid-19, c’est l’espèce d’affolement médiatique qui l’accompagne, comme si les journalistes réalisaient soudain que nous sommes mortels. Quel scoop
!
Que nous disent là-dessus les philosophes ?
Que la mort
fait partie de la vie. Montaigne l’a dit magnifiquement : « Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant. » La plupart veulent l’oublier, constate-t-il : « Ils vont,
ils viennent, ils trottent, ils dansent : de mort, nulles nouvelles. Tout cela est beau. Mais aussi, quand elle arrive ou à eux ou à leurs femmes, enfants et amis, les surprenant soudain et à
découvert, quels tourments, quels cris, quelle rage et quel désespoir les accablent ! Vîtes-vous jamais rien si rabaissé, si changé, si confus ? » Nous en sommes là. Si nous pensions plus souvent
à la mort, nous aimerions davantage la vie, nous vivrions plus intensément, et serions moins affolés par cette pandémie. Le sens du tragique est un antidote contre la peur. Bref, j’ai deux
nouvelles à annoncer à vos lecteurs, une bonne et une mauvaise. La mauvaise, c’est que nous allons tous mourir. La bonne, c’est que l’énorme majorité d’entre nous mourra d’autre chose que du
Covid-19 !
Car elle s’exerce
horizontalement, entre égaux, et non de haut en bas. Devant le virus, nous sommes égaux, c’est-à-dire tous vulnérables… et mortels. C’est ce qui explique les élans de compassion que nous vivons
?
La compassion ne commence pas avec le coronavirus ! Souvenez-vous de la photo de ce petit garçon de trois ans,
trouvé mort sur une plage, et de l’émotion qu’elle suscita dans le monde entier ! Pourquoi aurions-nous davantage de compassion pour les morts du Covid-19 que pour les migrants qui meurent noyés
en Méditerranée, ou même que pour nos compatriotes qui meurent de cancer, qui sont (pour l’instant) beaucoup plus nombreux que les victimes du coronavirus ?
Un de vos ouvrages s’intitule « Le capitalisme est-il moral ? » Je vous pose la question… Et
s’il ne l’est pas, ou pas assez, faudra-t-il le « moraliser », à l’aune de ce que nous vivons aujourd’hui ?
Il ne
l’est pas – il est amoral. C’est pourquoi il faut en effet le moraliser, non pas en le rendant intrinsèquement vertueux, ce qui est impossible, mais en lui fixant de l’extérieur – par la loi – un
certain nombre de limites non marchandes et non marchandables. On le fait depuis au moins 150 ans : voyez les libertés syndicales, le droit du travail, les congés payés, la retraite, la Sécurité
sociale… Il faut bien sûr continuer, et tant mieux si le Covid-19 nous le rappelle. Mais ne comptez pas sur la compassion pour créer de la richesse, ni donc pour tenir lieu d’économie. En
l’occurrence, il m’arrive de craindre que la crise économique, liée à cette pandémie, ne fasse, spécialement dans les pays les plus pauvres, plus de morts que le coronavirus… Même dans nos pays
riches, la situation est inquiétante. Tout le monde veut augmenter le budget de la santé. Mais comment, si l’économie s’effondre ?
L’EDUCATION POPULAIRE,
UNE EXIGENCE DU 21è siècle
Le Conseil Economique Social et Environnemental, le C.E.S.E. est la troisième assemblée constitutionnelle de la République. Il a pour but de favoriser le dialogue entre les différentes composantes de la société civile. Il conseille le gouvernement et le Parlement.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’éducation populaire, malgré ses activités utiles à l’Intérêt Général, malgré sa création permanente du lien social, malgré les milliers d’ emplois, est en manque de dialogue constructif avec les Collectivités locales et l’Etat lui- même puisqu’un Ministère ne lui est pas consacré.
Il faut saluer le C.E.S.E. qui a mis à l’étude l’Education Populaire et vient d’éditer un rapport des plus précieux.
A la demande de la Ligue de l’Enseignement des Hautes-Pyrénées, les deux rapporteurs, Christian Chevalier et Jean-Karl Deschamps ont exposé avec grand intérêt les grandes lignes de ce rapport volumineux. Non seulement, l’analyse des conditions de l’Education populaire est fouillée, mais, mieux encore, elle est suivie de préconisations précises.
Parce qu’elle irrigue la société, qu’elle favorise l’exercice de la citoyenneté,
L’Education Populaire est un réel atout pour « faire société ».
Les Associations intéressées, les Elus qui n’ont pu assister à la soirée peuvent encore prendre connaissance des travaux : un certain nombre de rapports sont à leur disposition au siège de la Ligue de l’Enseignement (1, rue Miramont Tarbes).
Le Président, R. Trusses